Tchad : le Kanem, terre de bétail
Les enjeux sécuritaires et climatiques poussent les éleveurs de cette région frontalière au Niger, à adapter leurs techniques de transhumance.
Avec environ 94 millions de têtes de bétail, le Tchad est un pays d'élevage par excellence : le cheptel représente 30 pourcents des exportations et la principale source de devises après le pétrole, même utilisée pour payer la dette extérieure. Pourtant, l’insécurité dans les pays voisins et le changement climatique affectent considérablement les flux traditionnels de commerce d’animaux sur pied et entrainent une crise pastorale majeure. La province du Kanem est l’arrière-pays du lac Tchad, où la violence de Boko Haram a obligé à des restrictions de mouvement et réduit les échanges transfrontaliers. Dans cette province, les aléas climatiques ont provoqué des mouvements de population vers les zones les plus fertiles ; les surfaces agricoles remplacent aujourd’hui les anciens pâturages, tandis que les pluies - de plus en plus inhabituelles et imprévisibles - forcent les éleveurs à changer leurs routes et la période de la transhumance. Et cette situation, est à l’origine de nombreux conflits entre agriculteurs et éleveurs.
Au cours du premier semestre de 2020, les habitants de plusieurs villages du Kanem ont travaillé pour l’amélioration des infrastructures liées à l’élevage. Les fréquents feux de brousse en fin de saison sèche, provoquent des pertes importantes et impactent les itinéraires des pasteurs et de leur bétail. Pour freiner la propagation des feux, la population a sécurisé plus de 9 millions de mètres carrés d’espaces avec des bandes pare-feu. Pour le cheptel, l’accès à l’eau et à la nourriture dans les couloirs de transhumance est fondamental. Les habitants du Kanem ont construit des puits pastoraux, pour assurer la disponibilité d’eau chaque 25 kilomètres au maximum. Pour nourrir le bétail, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (WFP) appui le développement des cultures hydroponiques, en ciblant les communautés d’éleveurs qui produisent du fourrage frais pour leur bétail sans utiliser d'engrais. Cette technique de production fourragère hors sol ne nécessitant pas trop d’eau, permet aux familles de cultiver dans le désert et les zones arides.
Les personnes travaillant dans l’amélioration d’infrastructures liées à l’élevage, reçoivent des allocations en espèces qui leur permettent de couvrir leurs besoins alimentaires immédiats. Ali Abderahman est le kaya (chef d’un groupe de villages) de Koumbagri, au sud du plus grand désert du monde. « Notre façon de s’organiser a changé. Avant, les gens travaillaient individuellement, sans faire attention à l’intérêt mutuel. Maintenant, nous œuvrons ensemble et nous avons découvert que c’est plus efficace. Dans notre ouaddi (cuvette fertile entre les dunes), il y a des personnes de 12 villages qui travaillent collectivement. Je n’ai jamais vu ça », explique-t-il.
Pour assurer une bonne gestion des nouvelles infrastructures et désamorcer les tensions entre éleveurs et agriculteurs, les populations participent aussi à des séances sur le respect aux couloirs de transhumance et aux ouvrages pastoraux. L’objectif est de réduire la compétition pour les ressources naturelles, exacerbé par la fermeture des couloirs de passage des animaux et par la divagation des animaux dans certains champs qui se trouvent sur les aires de stationnement ou sur les routes de transhumance. À ce stade de la crise sécuritaire et climatique, les populations du Kanem ont des expériences inspirantes en matière de gestion efficace des ressources naturelles et d’adaptation à un environnement en évolution rapide. Le travail de renforcement des couloirs de transhumance du WFP et de la FAO au Tchad est possible grâce au soutien du Fonds de Consolidation de la Paix des Nations Unies (UN Peacebuilding Fund).